Pourquoi les banques africaines prêtent-elles si peu?

Un projet de recherche de l'Université de Leicester financé par le Conseil de recherche économique et social du Royaume-Uni tente d'expliquer pourquoi les banques africaines  sont excessivement liquides.

Notre travail montre comment les marchés de crédit en Afrique n’ont pas réussi à  fonctionner efficacement et comment cet échec pourrait s'ajouter aux échecs institutionnels et entraver l'octroi de prêts bancaires. Les marchés de crédit fonctionnent mal lorsqu'il n'y a pas assez d'informations sur les emprunteurs ou lorsqu’il y a absence d'information sur leurs propensions à se montrer volontairement défaillant (risque moral). Peuvent également jouer un rôle leurs capacités à rembourser leurs dettes ou le manque d'information sur le véritable retour sur investissement qu’ils attendent (anti sélection). Les deux situations décourageront les banques à prêter aux clients domestiques. La primauté du droit pourrait améliorer ces situations. Si les contrats de prêt sont plus faciles à mettre en application, les emprunteurs seront donc moins susceptibles de faire défaut délibérément ou de choisir de s'engager dans des investissements à haut risque. Un système juridique équitable, cohérent et sans corruption, permettra aux banques de faire respecter les contrats de prêt.

Notre étude montre qu'un nombre de normes minimales relatives à la mise en application des contrats permettra au marché de bien fonctionner, quelle que soit la gravité du risque moral sous-jacent et les problèmes d’anti sélection. En dessous de cette norme minimale, la valeur de liquidation de prêts non remboursés est faible au point de décourager les banques à prêter. La mesure dans laquelle cela se produit dépend à la fois de l'ampleur de l'échec des institutions et la proportion d'emprunteurs potentiellement défaillant, soit en raison de leur opportunisme, de leur mauvais projets ou car ils sont malchanceux.

Nous avons également fourni des données empiriques sur l'ampleur de ces effets en analysant les données sur les taux de défaillance et la structure des actifs des banques de différents pays africains. Plus précisément, nous avons montré qu'il existe une norme minimale relative à la qualité réglementaire qui aura pour effet de protéger les banques contre n'importe quel niveau de risque moral ou d’anti sélection. Cette norme minimale est approximativement celle du pays moyen dans le monde (d’après les Indicateurs de la gouvernance mondiale de la Banque Mondiale) – qui correspond pour l’Afrique à un pays dont le niveau est élevé. Dans les pays dont les niveaux sont inférieurs à cette moyenne standard, c'est à dire la plupart des pays africains, un taux croissant de défaillance en termes de remboursement des prêts est associée à une augmentation de la liquidité. Dans le pire des cas, lorsqu’il n'existe pas de réglementations efficaces et il qu’il y a une propension de défaillance élevée, les banques devront canaliser l'essentiel de leurs dépôts dans des actifs étrangers.

Nos données confirment que bon nombre de banques souffrent d'un manque d'information sur la solvabilité d'un grand nombre de leurs clients. Par conséquent, l’épargne  locale n’est pas canalisée vers les investissements locaux ce qui constitue une perte pour l'économie locale.

Une étude complémentaire des banques qui opérant dans la zone UEMOA sur la période 2000-2005 effectuée par Demetriades et Fielding (2011) – dont le résumé se trouve dans le tableau 1 – montre que les banques qui sont plus âgées, ou qui appartiennent en partie à des banques étrangères, sont moins sensibles à un taux élevé de défaillance dans le pays, et plus susceptibles de transférer leurs avoirs à l'étranger ou de prendre une dette publique lorsque le taux de défaillance augmente. Les banques les plus jeunes, sans aucune appartenance étrangère ou étatique, sont plus fragiles. Cette situation s'explique par le fait que les banques locales plus jeunes ont relativement peu d'informations sur leurs clients, ou qu'elles ont relativement peu de relations de longue date qui décourageraient  les clients à être défaillant, même lorsqu'il pourrait sembler opportun de l’être. Des problèmes similaires se posent dans les banques qui s'engagent dans des transactions considérables loin du principal centre financier du pays. Les banques qui se sont engagées à prêter à des clients se situant en province, sont plus sensibles aux variations des taux de défaillance nationaux. Ceci peut s'expliquer par le fait que les informations concernant les clients sont plus coûteuses à obtenir dans les provinces, ou parce que la qualité réglementaire à tendance à être plus faible en province. Chose curieuse, il n'y a pas de lien étroit entre la sensibilité à la défaillance et la rentabilité globale d'une banque. Les banques qui prêtent moins aux ménages et aux  entreprises locales et qui acquièrent plus tôt des actifs étrangers ou étatiques, ne sont pas significativement moins rentables. Les alternatives sont généralement beaucoup plus liquides, mais leur taux de rendement moyen ne semble pas être beaucoup plus faible que les prêts classiques. Cela constitue peut-être une partie du problème.

Tableau 1. L'effet moyen d'une augmentation d'un point de pourcentage dans le taux national de défaillance sur le ratio prêts/actif (en points de pourcentage).

  Banques domestiques Banques à capitaux étrangers
âge 20 branches provinciales pas de branches provinciales 20 branches provinciales pas de branches provinciales
1 an -7,5 pts. ptg. -4,7 pts de pt. -6,4 pts de pt. -3,6 pts de pt.
10 ans -6,5 pts de ptg. -3.7 pts de ptg -5.4 pts de ptg -2.6 pts de ptg.
20 ans -5,5 pts de ptg. -2.7 pts de ptg -4,4 pts de ptg. -1,6 pts de ptg.
30 ans -4,4 pts de ptg. -1,6 pts. ptg. -3,3 pts de ptg. insignifiant
40 ans -3,4 pts de ptg. insignifiant -2,3 pts de ptg. insignifiant

Bon nombre de banques ont été créés au cours des vingt dernières années, mais cela n'a pas conduit à une concurrence plus acharnée sur le marché des prêts, parce que les banques les plus jeunes n'ont pas d'informations relatives au marché qui leur permettrait de profiter de l'octroi des prêts au niveau local.En plus d'encourager l'amélioration de la qualité institutionnelle, un moyen d'élargir l'accès aux prêts bancaires pourrait être la création ou l'augmentation du nombre de centrales des risques.

 

Par Andrianova Svetlana, Reader (Associate Professor) in Economics, University of Leicester, United Kingdom,
avec Badi H. Baltagi, Distinguished Professor of Economics, Center for Policy Research, Syracuse University, USA, et Professor of Economics, University of Leicester, United Kingdom
Panicos Demetriades, Professor of Financial Economics, University of Leicester, United Kingdom
David Fielding, Professor of Economics, University of Otago, New Zealand
Références

Andrianova, S., B. Baltagi, P.O. Demetriades and D. Fielding. 2011. “Why Do African Banks Lend So Little?”, University of Leicester Working Paper No. 11/19.
Demetriades, P.O. and D. Fielding. 2011. “Information, Institutions and Banking Sector Development in West Africa, Economic Inquiry, Early View